Oubliez tout ce que vous avez appris ou n’avez pas appris, Laissez-vous aller dans les mélanges et les comparaisons Essayez de trouver les clés qui vous sont présentées Pour entendre les oeuvres se parler.
LE CABINET DE CURIOSITÉS
« Le musée ne doit pas ressembler à un cimetière. » Cette phrase de Malraux est importante. Elle est l’aveu d’une crainte qui, malheureusement, ne s’est pas démentie depuis des années, et ce, non seulement en France, mais également dans le monde entier.
Cette phrase pose une question fondamentale : le devenir de l’oeuvre dès l’instant où elle quitte les cimaises du collectionneur pour celles du musée. Tout musée se crée, en effet, grâce au collectionneur, qu’il lègue, donne, vende ou simplement prête ses oeuvres. Du Louvre au MoMA, il n’est pas un musée au monde qui ne soit le fruit de l’apport des collectionneurs.
Depuis des années, je ne cesse de m’interroger sur la raison qui fait qu’une oeuvre perd de sa force aussitôt qu’elle est exposée dans un musée. Ayant la chance de voir les oeuvres chez les collectionneurs et d’être bouleversé par leur richesse, je ne comprends pas pourquoi, lorsque je les retrouve quelques années plus tard dans les musées, elles ne dégagent plus cette magie, cette aura que je leur trouvais auparavant.
Était-ce cette crainte que voulait exprimer Malraux, lui, amateur d’art éclairé, qui connaissait si bien les collectionneurs et fut longtemps le patron des musées de France en tant que ministre de la Culture ?
En définitive, qu’est-ce qu’un musée ? Un lieu où, à l’origine, les objets collectionnés étaient entreposés et exposés, permettant ainsi au public de les découvrir. Rappelez-vous : les grands collectionneurs – Barnes, Morozov, Chtchoukine pour ne citer que les plus célèbres – permettaient l’accès à leur collection un jour par semaine. Le musée privé ne s’apparente-t-il pas au cabinet de curiosités ? Celui-ci voit le jour à la Renaissance et prend plus tard le nom de « chambre des merveilles » quand il est essentiellement constitué d’oeuvres d’art. Il disparaît définitivement au XIXe siècle. Le musée remplace alors le cabinet de curiosités en tant qu’institution.
L’idée est de renouer aujourd’hui avec tout ce que le musée a perdu de son essence et de sa signification. D’où le nom du musée que vous visitez aujourd’hui : la Pinacothèque de Paris.
Étymologiquement, « pinacothèque » signifie « boîte à tableaux ». Ce mot laisse ainsi la part belle à l’intimité et au secret.
La collection Permanente
« Expérience pilote unique au monde, le musée que vous allez voir aujourd’hui rappelle que la compréhension d’une oeuvre peut se concevoir de façon ludique et attractive dès l’instant où on laisse libre cours à sa sensibilité. Les oeuvres ne doivent pas se laisser regarder seules, elles se contemplent ensemble dans leurs jeux de références. »
Un lieu où l‘histoire de l’Art se raconte comme nulle part.
La transversalité, comme je la nomme fréquemment, illustre cette petite communauté hors du commun que sont les artistes de tous temps, de toutes cultures et de toutes les origines, unis par le même mode de pensée, de réflexion et de comportement. Par une approche encyclopédique, tout musée tend à faire oublier sa raison d’être : rendre les oeuvres vivantes. Toutes parlent de beauté, ont des références identiques et une même histoire. Elles doivent donc être mises ensemble pour pouvoir dialoguer entre elles au-delà des frontières et des époques, car elles font appel à notre mémoire commune.
C’est pourquoi, pour la première fois, j’ai choisi de montrer les oeuvres ensemble sans les classer par époque ou artiste, voire par catégorie, comme vous pouvez les trouver dans tous les musées du monde. En les rapprochant selon ma sensibilité et une logique iconographique et esthétique, j’ai tenté de rétablir ce dialogue entre elles que l’on trouvait dans le cabinet de l’amateur. Ce lieu hors du temps et de l’espace où les oeuvres se parlent, communiquent et retrouvent leur vie.
Oubliez tout ce que vous avez appris ou n’avez pas appris, laissez-vous aller dans les mélanges et les comparaisons, essayez de trouver les clés qui vous sont présentées pour entendre les oeuvres se parler. C’est ainsi que vous admirerez, sans la moindre gêne, des oeuvres qu’il est impossible de voir habituellement côte à côte.
Vous verrez ainsi que Le Tintoret, Van Dyck ou Winterhalter représentent le notable de la même manière, qu’il soit italien au XVIe siècle, flamand au XVIIe siècle ou français ou XIXe siècle. Vous remarquerez également que Raysse représente la femme comme Warhol, Anker et Carpeaux, que Munch peint l’intimité de la femme comme Lobo et Modigliani ; que Heda peignait ses vanités comme Leyster, que Botticelli ou l’entourage de Pierre de Cortone voyaient la religion de façon identique et que les paysages de Picasso, Monet, Dubuffet et Ruysdael sont pareillement construits. On retrouve le primitivisme et la mise au centre du corps aussi bien chez les Bambaras que chez Modigliani, Rouault ou Ghirlandaio.
Expérience pilote unique au monde, le musée que vous allez voir aujourd’hui rappelle que la compréhension d’une oeuvre peut se concevoir de façon ludique et attractive dès l’instant où on laisse libre cours à sa sensibilité. Les oeuvres ne doivent pas se laisser regarder seules, elles se contemplent ensemble dans leurs jeux de références.